Résumé des échanges
Host : Laetitia EL HADDAD, Coordinatrice du réseau Jeunesses Med, REF
Modératrice : Giulia SOSTERO (ALDA – Italie)
Intervenants : Clara OLIVET (Engagé.e.s et Déterminé.e.s - France), Rabii LAHBIBI (FTCR - Tunisie)
Giulia SOSTERO - Coordinatrice du pôle Moyen-Orient et Afrique, ALDA
Afin de lancer la discussion, Giulia a partagé une citation attribuée à Socrate portant sur l’intergénérationnel : « Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, se moquent de l’autorité et bavardent au lieu de travailler. Ils ne se lèvent plus lorsqu’un adulte pénètre dans la pièce où ils se trouvent. Ils contredisent leurs parents, affichent une arrogante fierté en société, se hâtent à table d’engloutir les desserts et confrontent leurs enseignants. Nos jeunes ont de mauvaises manières et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans ». L’intergénérationnel est donc une problématique qui traverse la société depuis très longtemps.
Clara OLIVET - Coordinatrice du projet Place aux Jeunes (PAJ), Engagé.e.s et Déterminé.e.s
En France, l’association « Les petits frères de pauvres » qui lutte contre l’isolement des personnes de plus de 65 ans publie chaque année un baromètre sur l’état de l’isolement des personnes âgées. Celui de 2023 constate que les liens intergénérationnels se distendent de plus en plus et que c’est dans le cercle familial que va s’exercer la grande majorité des liens intergénérationnels. Cependant, dans ces cellules familiales, les grands-parents voient beaucoup moins leurs petits-enfants. Ceci s’explique en grande partie par l’éloignement géographique. Du point de vue de Clara, cette situation va également s’expliquer car les sociétés européennes sont de plus en plus individualistes et garder le contact avec ses ainés n’est donc pas une priorité.
En ce qui concerne l’engagement, le secteur associatif va rassembler énormément de liens intergénérationnels. En effet, au sein des associations, il y a une majorité de moins de 35 ans et de plus de 65 ans qui cohabitent. Les 35-65 ans représentent quant à eux uniquement 23% de la population impliquée dans le secteur associatif alors qu’ils sont pourtant la catégorie d’âge la plus conséquente. Ceci s’explique car à cet âge, les priorités sont différentes et le contexte n’est donc pas propice au bénévolat.
Engagé.e.s et Déterminé.e.s (E&D), dont Clara est membre, est un réseau d’associations dirigées par des jeunes qui agissent dans le secteur de la solidarité internationale. Avec un consortium de 12 associations (dont le REF), E&D est le coordinateur du projet « Place aux Jeunes » (PAJ). PAJ a pour objectif de renforcer et transversaliser la place des jeunes dans les projets et les organisations de la solidarité internationale et va ainsi permettre une meilleure prise en compte des jeunesses par les pouvoirs publics. PAJ a fait le constat de deux enjeux importants en matière d’intergénérationnel. Le premier est que les petites associations ont des tendances vieillissantes, ce qui va emmener à la périclité de celles-ci si elles ne « rajeunissent » pas leur base jeunesse. Le deuxième est que d’autres structures désirent réellement intégrer des jeunes, mais ne savent pas comment s’y prendre. PAJ est donc là pour accompagner les structures dans ces deux cas.
Cependant, il existe beaucoup d’obstacles à ces rencontres intergénérationnelles comme l’adaptation du fonctionnement de la structure, les stéréotypes que les deux groupes ont les uns envers les autres ou encore les rapports de force au sein des associations.
Rabii LAHBIBI – membre de la FTCR (Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives)
Rabii explique que l’intergénérationnel est avant tout un rapport vertical. Ainsi, en termes de hiérarchie, la personne d’en « haut » est plus âgées que celle d’en « bas ». Ce rapport vertical touche principalement la transmission de l’information qui est d’une nature croyable. Pendant longtemps, la parole des ainés n’était jamais remise en question, puisque de par leur âge et donc leur expérience, ces derniers possédaient une certaine légitimité. Avec l’avènement d’internet dans les années 2000, ces rapports verticaux se sont transformés en dynamiques horizontales. Grâce à internet, toute personne de n’importe quelle génération peut vérifier et accéder à l’information.
Dans un deuxième temps, en ce qui concerne l’intergénérationnel dans les milieux d’engagement en Tunisie, ils sont intrinsèquement hiérarchisés, et les postes à plus hautes responsabilités vont donc être destinés aux ainés. Ce rapport dans les milieux d’engagement est enrichi par d’autres milieux, comme les milieux familiaux et économiques. Cependant, avec l’avènement du numérique et le prolongement de l’engagement dans cet espace horizontal, les milieux d’engagement verticaux tunisiens vont faire face à une crise identitaire. Les jeunes vont être sollicités dans la forme (création de comptes Facebook par exemple), mais dans le fond, la situation reste très hiérarchisée et les présidents d’association qui le sont depuis 35 ans, ne délèguent pas aux plus jeunes générations. Ainsi, le message engagé et démocratique porté par ces milieux engagés perd toute sa légitimité.
Dans un troisième temps, en ce qui concerne l’approche que les jeunes méditerranéen.ne.s ont en ce qui concerne les rapports intergénérationnels dans les milieux d’engagement, Rabii propose une approche en trois axes :
- l’axe humain : sur lequel les jeunes doivent travailler en termes de respect et de reconnaissance envers les ainés.
- la compréhension de la règle des rapports : la verticalité ne va pas se transformer en horizontalité du jour au lendemain, et les jeunes doivent mener leur combat sans brusquer les ainés.
- l’axe stratégique et politique : les jeunes doivent défendre leurs idées haut et fort et comprendre que l’intergénérationnel n’est pas seulement une structure mais également une multitude de dynamiques.
Pour finir, la rupture générationnelle n’est pas forcément négative selon Rabii. En effet, lors de certains événements historiques tunisiens, comme la révolution de 2011 ou les événements de 1938, les ruptures intergénérationnelles peuvent également mener à du positif.
Selon Rabii : « Ne regardons pas l’intergénérationnel avec une vision binaire ».
DISCUSSION
Dans un temps dédiés à la discussion, les participant.e.s ont pu faire état de l’intergénérationnel dans leurs pays. Des participant.e.s palestinen.ne.s ont ainsi expliqué qu’en Palestine, les positions décisionnaires dans le gouvernement étaient détenues par des personnes issues de générations plus âgées et que les jeunes n’avaient pas leur place dans ces processus. Les prétextes donnés par le gouvernement pour expliquer le manque de représentativité des jeunes sont : la situation de conflit dans laquelle le pays se trouve et la légitimité des anciennes générations à se trouver à ces postes puisqu’ils se sont sacrifiés pour le pays. Bien que des rencontres pour discuter de la participation des jeunes dans les processus décisionnaires soient organisées, celles-ci n’aboutissent à rien de concret. Pourtant, toutes les générations partagent les mêmes valeurs et les mêmes principes autour d’une cause commune : celle de faire du monde dans lequel nous vivons, un monde meilleur. Il est donc indispensable que les différentes générations se réunissent autour de cette cause.
Le cas marocain est quant à lui différent. Bien que l’intergénérationnel reste compliqué dans certains cas car les ainés ne veulent pas déléguer aux plus jeunes générations, les dirigeants encouragent les jeunes à adhérer aux associations et à participer activement dans les débats politiques. Cependant, les jeunes sont réticents sur ces questions et seulement 14% d’entre eux ont adhéré à des associations ou à des partis politiques.
Le webinaire s’est terminé par le partage de Clara Olivet d’une citation de Dumbledore : « Les jeunes ne peuvent pas savoir ce que les vieux pensent et ressentent, mais les vieux sont coupables d’oublier ce que c’est que d’être jeune ».